De nombreuses personnes souffrent aujourd’hui en France d’une difficulté d’accès à l’écrit du fait d’un handicap. Les situations et les besoins sont divers. Quelques 820 000 personnes sont empêchées de lire du fait de troubles visuels sévères, dont seule une minorité maîtrise le braille [^1] . Les jeunes et adultes souffrant de troubles cognitifs, tels que la dyslexie et les autres troubles « dys », ne peuvent accéder aux textes qu’au prix d’une adaptation personnalisée de leur présentation. Troubles auditifs précoces, handicap mental et handicap physique peuvent aussi constituer des obstacles pour l’accès à l’écrit. La pénurie de livres adaptés aux besoins de ces publics est un phénomène persistant dont il est difficile de se satisfaire. L’accès aux livres est en effet porteur d’enjeux majeurs pour les personnes en situation de handicap comme pour l’ensemble de la population : il permet de découvrir des œuvres littéraires, de forger sa culture générale et citoyenne, d’apprendre et de se former tout au long de la vie.
Le travail mené par les organismes qui adaptent des livres dans le cadre de l’exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées est précieux et indispensable. Il ne permet pourtant pas de combler un retard qui se creuse d’année en année. Or la circulation dématérialisée des œuvres culturelles, couplée aux évolutions actuelles des technologies numériques, constitue un formidable potentiel en matière d’accès aux livres pour les personnes handicapées. La numérisation rétrospective est également riche de promesses dès lors qu’elle est opérée suivant les standards de l’industrie, comme c’est le cas pour le programme français de numérisation des livres indisponibles. Historiquement, l’édition de livres numériques accessibles s’est appuyée sur des formats spécifiques, tels que le format Daisy. Aujourd’hui, le format EPUB 3 intègre des fonctions d’accessibilité multiples tout en répondant aux conditions d’une diffusion auprès du grand public. Son interopérabilité lui permet d’être pris en charge tant par des outils de lecture grand public que par des équipements dédiés aux personnes en situation de handicap. Ainsi, les livres numériques au format EPUB 3 peuvent être automatiquement vocalisés, retranscrits en braille éphémère, agrandis et modulés dans leur présentation. Les travaux menés au niveau international par des acteurs comme le W3C, le consortium Daisy ou EDRLab, offrent désormais un socle technique abouti pour le développement d’une offre de livres numériques accessibles pour les ouvrages à maquette simple et faiblement illustrés (littérature générale, essais, sciences humaines, etc.).
Pour qu’une telle offre se développe, il est essentiel que l’ensemble des professionnels de la chaîne du livre et des acteurs impliqués dans l’accès à la culture pour les personnes handicapées, pleinement accompagnés par les ministères en charge de la culture et des personnes handicapées, se mobilisent et adoptent une stratégie commune. Tel est l’objectif du comité de pilotage pour le développement de l’offre de livres numériques accessibles qui s’est constitué à la demande du Comité interministériel du handicap du 20 septembre 2017. Toute la chaîne du livre est concernée par le développement d’une offre accessible. Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir clairement identifier les livres qui correspondent à leur besoin, en faire l’acquisition sur les mêmes plateformes de vente que leurs concitoyens, les emprunter dans les bibliothèques publiques proposant le prêt de livres numériques. Elles doivent pouvoir s’équiper d’outils de lecture dédiés qui prennent correctement en charge ces livres numériques accessibles. Enfin, celles qui ne disposent pas d’une familiarité suffisante avec les technologies numériques doivent être accompagnées afin de s’approprier ces nouvelles pratiques de lecture.
Enfin, la directive européenne dite acte européen d’accessibilité, qui vise l’ensemble de la chaîne du livre numérique, rend nécessaire une adaptation des opérateurs économiques afin de se mettre en capacité de répondre aux exigences d’accessibilité qui leurs seront posées à l’horizon 2025.
Soucieux d’encourager la construction d’une société inclusive qui permet une pleine et entière participation des personnes en situation de handicap à la vie culturelle, aux débats d’idées, à la diversité des créations littéraires et des savoirs, et d’anticiper la mise en œuvre du futur Acte européen d’accessibilité, le comité de pilotage interministériel pour le développement d’une offre de livres numériques accessible s’engage sur un plan stratégique dont les lignes directrices sont les suivantes :
Généraliser l’utilisation d’un format de livres numériques permettant l’accessibilité et l’interopérabilité tant avec les outils grand public qu’avec les technologiesd’assistance : le format EPUB 3
Un environnement de lecture ne peut être accessible que s’il s’appuie sur des standards techniques ouverts et partagés. Les personnes en situation de handicap recourent à des outils de lecture spécifiquement conçus pour répondre à leurs besoins, dits technologies d’assistance, tels que : lecteurs d’écran, logiciels de synthèse vocale, lecteurs de livres audio structurés, logiciels d’adaptation automatique des paramètres d’affichage des textes, ou plages braille. Il est donc souhaitable d’utiliser des formats de publication interopérables, qui puissent être pris en charge par ces technologies. Parce qu’il répond à ces attentes, l’EPUB 3 est aujourd’hui le format de référence pour les professionnels du secteur en matière d’accessibilité du livre numérique et son utilisation tend à se généraliser.
Prendre en compte les standards techniques en matière d’accessibilité numérique
L’accessibilité des contenus numériques repose sur des standards techniques définis par des organismes internationaux, en particulier le World Wide Web Consortium. Ces standards portent à la fois sur les fichiers des livres numériques et sur les sites qui permettent d’y accéder. Les acteurs de la chaîne du livre, en s’appuyant sur les entités aptes à apporter de la médiation en la matière, et les organismes œuvrant dans le domaine de l’accès à la culture pour les personnes handicapées s’efforceront de maintenir ou de développer leur expertise technique en cette matière, d’effectuer une veille attentive sur l’évolution des standards d’accessibilité et, dans la mesure du possible, de contribuer à leur élaboration.
Sensibiliser et former les professionnels de la chaîne aux enjeux de la publication numérique
Les professionnels doivent être sensibilisés par toutes les voies utiles aux enjeux relatifs à l’accessibilité. S’ils ne le font pas déjà, les établissements et organismes dispensant des formations initiales ou continues dans le domaine de l’édition et de la librairie, seront encouragés à intégrer la thématique de l’accessibilité numérique à leurs programmes. Ces formations pourront se donner pour objectifs de sensibiliser l’ensemble des professionnels de l’édition aux enjeux de l’accessibilité et de transmettre une expertise technique aux professionnels en charge des technologies, des contenus et des services numériques.
Intégrer l’impératif d’accessibilité dans les flux de production de livres numériques
L’intégration des standards techniques d’accessibilité dans les chaînes de production de livres numériques des maisons d’édition suppose de faire évoluer les compétences des collaborateurs de celles-ci, en particulier au sein des services de fabrication, et d’adapter en conséquence les cahiers des charges de composition et les modalités de contrôle de la qualité des fichiers numériques. Lorsqu’ils choisissent de recourir à des mesures techniques de protection des livres numériques qu’ils commercialisent, les éditeurs veilleront à ce que celles- ci ne puissent faire obstacle aux fonctions d’accessibilité. Dans leur dialogue avec les maquettistes et prestataires de composition, ils auront le souci de préserver la diversité des acteurs de ce secteur (grands opérateurs, petites structures et travailleurs indépendants).
Accompagner les acteurs les plus fragiles de l’édition dans la constitution d’une offre de livres numériques nativement accessibles
Le secteur de l’édition français est caractérisé par la cohabitation de groupes disposant en leur sein d’une expertise numérique avancée et d’entreprises de petite taille qui n’entretiennent pas la même familiarité avec ces technologies et avec les enjeux de l’accessibilité. On retrouve des caractéristiques semblables chez les prestataires de composition. Si certains possèdent des moyens humains et techniques suffisants pour prendre part au développement d’une offre de livres nativement accessibles, d’autres, aux moyens plus modestes, peinent à s’inscrire dans le processus. Afin de remédier à ces disparités, il faut favoriser l’échange d’expertise au sein de la profession ainsi qu’auprès des sous-traitants et prendre en compte l’impératif d’accessibilité dans l’attribution des aides publiques en direction de la publication numérique.
Certifier les livres numériques accessibles
Un dispositif de certification permettant de garantir l’accessibilité des livres numériques et aboutissant à l’attribution d’un label d’accessibilité pourra être mis en œuvre par un organisme indépendant. Un tel dispositif donnerait toute sa visibilité aux efforts effectués par les éditeurs, qui garderaient la liberté d’y soumettre ou non leurs publications. Il constituerait une garantie pour les personnes en situation de handicap, leur permettant d’identifier l’offre qui correspond de manière certaine à leurs besoins. Le référentiel servant de base à la certification, fondé sur les standards techniques internationaux en matière d’accessibilité numérique, devrait être rendu public et le processus de certification devrait être compatible avec l’organisation des chaînes de production des éditeurs.
Signaler les caractéristiques d’accessibilité des livres numériques à toutes les étapes de la chaîne de distribution
Les lecteurs en situation de handicap doivent pouvoir aisément et rapidement identifier les livres numériques qui correspondent à leurs besoins. Les acteurs de la chaîne du livre travailleront à l’utilisation d’un langage de métadonnées commun permettant d’identifier les caractéristiques d’accessibilité des livres numériques. Ces métadonnées seront, dans l’idéal, renseignées qualitativement par les éditeurs, prises en charge par les distributeurs, intégrées dans bases de données bibliographiques, portées à la connaissance du public sur les plateformes de vente et de prêt de livres numériques sous une forme synthétique et facilement compréhensible par les personnes en situation de handicap.
Assurer l’accessibilité des plateformes de vente et de prêt de livres numériques
L’ergonomie des interfaces d’accès au livre numérique doit faire l’objet d’une attention particulière tant dans l’accès aux offres que dans les fonctionnalités de paiement. Les entreprises qui pratiquent la vente en ligne de livres numériques devraient garantir que leurs plateformes respectent les standards techniques en vigueur en matière d’accessibilité des contenus numériques, et cela à toutes les étapes de leur utilisation, y compris pour ce qui concerne les modules de paiement. Les bibliothèques publiques qui proposent à leurs usagers des services de prêt de livres numériques veilleront à la conformité de leurs activités avec les textes relatifs à l’accessibilité tels que la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et son décret d’application n° 2009-546 du 14 mai 2009 créant un référentiel d’accessibilité des services de communication publique en ligne.
Assurer la complémentarité entre l’offre éditoriale de livres numériques accessibles et l’offre de livres adaptés pour les besoins des personnes handicapées
Les éditeurs commerciaux et organismes de l’édition adaptée qui travaillent dans le cadre légal de l’exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées veilleront à assurer la complémentarité de leurs offres respectives. Tandis que les éditeurs concentreront leurs efforts sur l’accessibilité des nouveautés, en particulier dans les genres éditoriaux les plus simples (romans les essais, ouvrages de sciences humaines, etc.), les organismes de l’édition adaptée concentreront leurs travaux sur les ouvrages de fonds et sur les genres éditoriaux complexes (livres d’art, livres illustrés, livres scientifiques, etc.).
Permettre la prise en charge des livres numériques accessibles par les outils de lecture grand public et par les technologies d’assistance utilisées par les personnes handicapées
Les livres numériques en format accessible doivent être correctement pris en charge par les outils de lecture destinés au grand public (logiciels et applications de lecture installés sur des ordinateurs, des liseuses, des tablettes, etc.) et par les technologies d’assistance couramment utilisées par les personnes handicapées. Cela concerne aussi les éventuelles mesures techniques de protection qui s’y attachent. Les échanges entre professionnels de l’édition numérique et fabricants d’outils de lecture grand public ou dédiés aux personnes handicapées permettront de faciliter l’interopérabilité de leurs technologies.
Conforter les bibliothèques de lecture publique dans leur rôle d’accompagnement et de médiation
Les bibliothèques ont un rôle à jouer auprès du grand public comme des publics éloignés du livre et de la lecture, en matière de diffusion de l’offre de livres numériques nativement accessibles comme de l’offre de lecture adaptée dans le cadre de l’exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées. La mise à disposition de ces ressources doit s’accompagner d’une médiation et d’un accompagnement auprès de l’ensemble de ces publics, pour faciliter l’accès à ces offres complémentaires de livres numériques ainsi qu’aux technologies dédiées ou grand public permettant leur lecture.
Faciliter et simplifier l’équipement des personnes en situation de handicap en technologies de lecture numérique et les accompagner dans leur utilisation
Les personnes empêchées de lire du fait d’un handicap ont une familiarité inégale avec les technologies numériques. Par ailleurs les technologies d’assistance dont elles doivent se doter pour interpréter les livres numériques accessibles restent pour certaines d’entre elles coûteuses. En vertu du droit à compensation, l’acquisition de technologies de lecture numérique, qu’elles soient ou non des technologies d’assistance devrait être facilitée et mieux prise en compte dans la détermination des prestations de compensation handicap et d’autres dispositifs d’aide à destination des personnes handicapées ou des personnes âgées. Comme les bibliothèques, les associations et organismes publics œuvrant dans le domaine de l’accès à la culture pour les personnes handicapées pourront développer des activités de médiation pour favoriser la prise en main de ces technologies de lecture numérique.
5Ce plan stratégique a été adopté par les organisations membres du comité de pilotage interministériel pour le développement d’une offre de livres numériques accessibles aux personnes en situation de handicap.
Administrations et établissements publics :
- Le ministère de la culture
- Le secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées
- Le secrétariat général du Comité interministériel du handicap
- Le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
- Le Centre national du livre (CNL)
Organismes représentatifs des personnes handicapées :
- La Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CFPSAA)
- La Fédération française des dys (FFDYS)
- L’association Valentin Haüy
Organismes professionnels du secteur du livre numérique :
- Le Syndicat national de l’édition (SNE)
- Le Syndicat de la librairie française (SLF)
- Le Syndicat des loisirs culturels (SDLC)
- La Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD)
- L’Association des bibliothécaires de France (ABF)
- La Commission de liaison interprofessionnelle du livre (CLIL)
- European Digital Reading Lab (EDRLab)
- Dilicom
- Electre
[1]« Les structures ayant une activité d’adaptation des œuvres au bénéfice des personnes en situation de handicap – réalités observées et perspectives », rapport établi par Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales, Isabelle Neuschwander, inspectrice général des affaires culturelles et Stéphane Pellet, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale, décembre 2016, p. 33.
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